David Bosc, Mourir et puis sauter sur son cheval, Ed. Verdier.
Laudatio par André Wyss, président du jury.
Monsieur le Président,
Merci, une fois de plus, de votre accueil. Cela fait beaucoup d’années maintenant que votre Cercle a la générosité de mettre ses locaux à la disposition de notre jury pour qu’il offre à son lauréat, en plus d’un chèque la solennité qu’il mérite.
A propos du livre que nous primons cette année, vous avez parlé de sa « légèreté affichée ». Oui, il y a cette légèreté, et il semble bien qu’elle soit surtout affichée. En tous les cas, il m’est impossible de parler allègrement de ces pages, même en pensant à leur légèreté, car il y a dans la joie de vivre qu’elles manifestent une forme suspecte de lévitation et une véhémence aussi bien qui me troublent et me troublent encore.
C’est que, lisant ces pages tout en trompe l’œil, comme vous l’avez si adéquatement formulé, nous savons qu’elles nous sont arrivées de manière posthume, que la main qui est censée les avoir écrites n’est plus que poussière ; que, dans la perspective d’une vie imaginaire, ces pages conduisent à la mort par suicide ; enfin que dans la perspective de la fiction, elles ont mission de nous faire comprendre les raisons profondes d’un cheminement inéluctable et mortel.
Mesdames et Messieurs, chers amis,
Entrons nous aussi dans cette vie, dans ces pages heureuses, dans ce livre lumineux et igné – élégiaque.
Le 3 septembre 1942, Sonia Araquistain, une jeune artiste basque espagnole exilée à Londres, se défenestre. Peu de temps après, le poète cairote Georges Henein lui rend hommage dans un poème intitulé « Sonia Araquistain », où on lit entres autres vers ceux-ci :
creusez / pour que cette femme déploie l’éventail de sa chute / pour qu’elle gifle à jamais l’indolence de l’espace / pour que de son beau visage de cristal brisé / elle épouse la terre ferme / creusez / et il y aura les yeux les plus seuls du monde / et sur le sol frileux de l’avenue / une étrangère soudain comme une fenêtre / creusez à ces yeux un regard impossible / creusez notre nom dans notre nuit / creusez pour nous
Au printemps 1935, le poète russe Ossip Mandelstam est déporté à Voronèje. Le long voyage de transfèrement et d’exil donne lieu à un poème fameux :
Le jour avait cinq têtes. Pendant cinq nuit et cinq jours pareils / Je restai blotti, fier de l’espace gonflé par un levain. Le sommeil plus long que le son, le son plus vieux que le sommeil…
Et plus bas :
Ah, que n’ai-je eu un bout de mer bleue, même comme un chas d’aiguille, pour qu’à toutes voiles les deux chevaux du temps-escorte filent !
La fin de ce poème évoque le héros du peuple Tchapaïev, qui apparaît dans le premier film parlant tourné en URSS.
Le train roulait vers l’Oural. Un Tchapaïev parlant bondissait tout droit dans nos bouches ouvertes, depuis l’image de toile : Voici qu’il allait, derrière une palissade, sur le drap, Mourir et puis sauter sur son cheval.
Le 20 janvier 1778, le poète Jakob Michael Reinhold Lenz, âgé de 26 ans, souffrant peut-être de schizophrénie paranoïaque, se met en route pour se rendre de … à pied en Alsace chez le pasteur Oberlin, qui sait soigner ces âmes. En 1835, Georg Büchner écrit un récit intitulé Lenz, qui commence ainsi :
Le 20 Janvier, Lenz partit dans la montagne. Au début, il se sentait oppressé, lorsque les pierres se mettaient à rouler, lorsque la forêt grise s’agitait à ses pieds et que le brouillard tantôt engloutissait toutes les formes, tantôt découvrait à demi ces membres gigantesques ; il se sentait le cœur serré, il cherchait quelque chose comme des rêves perdus mais il ne trouvait rien.
Sonia A., le personnage de David Bosc, écrit à propos de Lenz, dans son journal : « Dès les premières lignes, c’est tout le firmament qui chavire », et elle intègre plus ou moins littéralement ces première lignes dans ses propos à elle, sans qu’on puisse distinguer ce qui est à elle et ce qui est à Büchner :
La route importe peu ; on n’éprouve point de fatigue, même si parfois on trouve pénible de ne pas pouvoir marcher sur la tête ; on ressent bientôt une poussée dans la poitrine, à mesure qu’on cherche quelque chose, comme des rêves perdus, et qu’on ne trouve rien : tout paraît alors si petit qu’on aurait envie de mettre la Terre à sécher derrière le poêle ; d’autres fois – sons, ciel, vent –, c’est une déchirure dans la poitrine, prélude à deux sensations contraires, celle de pouvoir recouvrir la terre de son corps, puis celle de s’enfouir soi-même dans l’univers, et alors point une jouissance qui fait mal – bien sûr, on ne se souviendra de rien ; marchant encore, on se sent soudain effroyablement solitaire, désireux de se parler à soi-même, mais incapable de le faire ; on ose à peine respirer, on est dans le vide ; et peu à peu on se persuade qu’on est suivi par quelque chose d’insupportable pour un être humain – c’est qu’il est temps, pour aujourd’hui, de ressortir de la montagne.
En juillet 1959, Paul Celan se rend de Paris à Sils-Maria, dans l’espoir d’y rencontrer Theodor Adorno pour parler avec lui de la légitimité de la poésie de langue allemande après Auschwitz. Adorno ne vient pas. Celan, à son retour, écrit Dialogue dans la montagne, qui commence ainsi:
Un soir, le soleil, et pas seulement lui, avait disparu, le Juif s’en alla, sortit de sa petite maison et s’en alla, lui le Juif et fils d’un Juif, et avec lui s’en alla son nom, l’imprononçable, il s’en alla et s’en vint, s’en vint, clopinant, se fit entendre, s’en vint bâton en main, […] s’en alla sous les nuages, s’en alla dans l’ombre, la sienne et l’étrangère – car le Juif, tu le sais, qu’a-t-il donc qui lui appartienne en propre, qui ne soit emprunté, prêté et jamais restitué – donc il s’en alla et s’en vint, s’en vint de par la route, la belle, l’incomparable, s’en alla comme Lenz, à travers la montagne, lui que l’on avait laissé habiter tout en bas, là où est sa place, dans les basses-terres, lui, le Juif, s’en vint et s’en vint.
Onze ans plus tard le Juif au nom imprononçable, –Tselane?, Sélan ?, Seulan? Antchel?, Antsel? – se jette du Pont Mirabeau dans la Seine. Henri Michaux écrit alors :
Partir.
De toute façon partir.
Le long couteau du flot de l’eau arrêtera la parole.
Vous demandez : pourquoi toutes ces lectures ? Parce qu’une forme grave d’intertextualité est au cœur du livre de David Bosc : depuis le titre mystérieusement suggestif emprunté au poème de Mandelstam que j’ai cité tout à l’heure, jusqu’aux dernières lignes du livre on aura rencontré encore Jean Grosjean, les Proverbes, le livre de Tobie, deux fois celui de Job, Sapho, Angelus Silesius, Emily Brontë, Homère, Nietzsche.
Ces lectures, parce que Mourir et puis sauter sur son cheval est le mausolée de ces écrivains et que de les lire ici est une manière d’entrer dans ce mausolée. Puis parce que le journal attribué à Sonia est le tombeau de toute littérature – je prends alors « tombeau » au sens d’hommage.
Ces lectures parce que le thème ou plutôt le sens qu’on induit des motifs qui les parcourent, est une forme de voyage par déplacement mortel et mortifère.
C’est que le livre distingué cette année par le Prix Dentan est littérature de la page 9 à la page 86, il est littérature d’alpha à oméga aussi bien ; ce livre est en littérature le portrait imaginé de Sonia Araquistain ; il est le récit direct et indirect, énergisant et poétique de son étrange et bref voyage vers la mort, par le vicariat de Mandelstam, de Büchner, de Nietzsche, de la Bible et d’Homère, plus indirectement de Paul Celan, et par cette intertextualité il est un hommage à la littérature comme seul moyen de dire l’indi-cible en se faisant comprendre, d’énoncer la souffrance, la folie, la mort – de traverser la montagne, de « se noyer et puis d’un bond sauter sur son cheval ».
Dans le poème de Georges Henein que j’ai cité pour commencer, il y a ce vers si beau : creusez à ces yeux un regard impossible, et ceux-ci encore : creusez / et il y aura un sourire / un sourire tombal / pour ceux qui prennent la vie au mot.
Je voudrais faire de l’un et l’autre de ces vers des guides pour ma lecture de Mourir et puis sauter sur son cheval. Par la littérature, David Bosc creuse aux yeux de Sonia A. un regard impossible. Entendez qu’il rend à la suicidée une existence toute fictive, naturellement, hypothétique et cependant hautement probable, parce qu’elle est vraie non pas psychologiquement mais poétiquement.
« Prendre la vie au mot », c’est-à-dire littéralement, d’une part, c’est ce que fait le personnage de Sonia, en vivant avec une énergie insensée tout ce que lui suggère la vie.
D’autre part, « prendre la vie au mot », c’est-à-dire littérairement, c’est ce que fait le personnage de David Bosc en prenant la plume et en déposant les éléments de son journal intime entre les lignes d’un livre de rien du tout.
Et c’est en prenant la vie de Sonia aux mots (mettez ici un pluriel), dans l’extraordinaire journal intime qu’il lui invente, que David Bosc a fait d’une personne réelle un personnage littéraire et qu’il a écrit à partir d’un bref destin inconnu de tous et de lui-même un livre incandescent.
Avant ce journal, David Bosc aura fait par deux fois le récit d’un suicide. Les deux premières pages sont toutes en hyperboles rythmiques, syntaxiques, métaphoriques. Au plein cœur de ces hyperboles, celle bien plus hyperbolique encore que l’auteur emprunte au livre des Juges :
La fille est nue, elle flambe, elle incendie la cage d’es-calier. Ce sont les trois cents renards enflammés que Samson lança dans les moissons des Philistins.
Les quelques pages qui suivent intègrent deux récits journalistiques de ce suicide, et elles se terminent par la découverte par le père de la suicidée de son journal intime. C’est ce journal qui fait l’essentiel du livre de David Bosc.
Mourir et puis sauter sur son cheval. Mourir donc, c’est l’objet du poème en prose initial et du bref récit qui suit. Après cela, sauter sur son cheval, sauter, dirai-je en parodiant Victor Hugo, sur le cheval/littérature, pour que la littérature rende compte de cette mort, en donne, à défaut d’une explication, une hypothèse poétique.
D’une personne à jamais inconnue, David Bosc fait un personnage littéraire, désormais connu de nous, aussi longtemps qu’il y aura des lecteurs de ce livre – à quoi le Prix Michel-Dentan voudrait contribuer. Surtout, grâce à notre lauréat, Sonia A. est un écrivain remarquable et son journal un moment intense de littérature.
De cette littérature, je ne voudrais retenir que quelques traits remarquables. Mes citations laisseront au demeurant voir aussi quelle personnalité la plume inventive de David Bosc a fait surgir du papier, une personnalité jeune et profondément pénétrante, affouillante voudrais-je pouvoir dire.
Sonia est une grande liseuse – je l’ai suggéré par mon aperçu de l’intertextualité du livre – mais liseuse critique :
Seul me porte vers les livres le désir d’y trouver ce que je ne soupçonnais pas, et c’est pourquoi je déteste les faiseurs de bouquin, les romances ficelées, cousues d’astuces, farcies de diables à ressorts, de pièges à souris.
Je verrais bien Sonia siéger au jury du Dentan ! Elle cherche dans les livres des abîmes et des vertiges. Mais dans toute langue, une rose est une rose est une rose ; le langage est tyrannique (p. 49), « les mots empêchent de rien comprendre » (84). « C’est le langage qui nous fait des figures » (85) et la langue est un empêchement d’exprimer des choses singulières, et le rapport au réel, une entrave à l’exercice de la parole :
Ainsi des insectes et des oiseaux, qui ont le don de me couper la parole, l’élan : je m’arrête au milieu de ma phrase.
Sonia a la nostalgie d’une langue maternelle que sa mère ne lui a pas transmise, préférant lui parler en hochdeutsch plutôt qu’en bernois, comme elle aurait dû (car cette mère est comme moi originaire du Berner Oberland). Citation :
Et ma surprise, ma sidération de voir et d’entendre maman parler une langue inouïe, un dialecte heurté, terreux, cuit et fumé durant des siècles dans une vallée-marmite de l’Oberland bernois, une langue râpeuse, raboteuse, qui lui donnait la marque d’une race à part, d’un oiseau au chant disgracieux mais rare. Son corps – si différent de celui des femmes espagnoles – émettait enfin son cri. (p. 49)
Aussi l’artiste Sonia renonce-t-elle à l’art figuratif. Dans le récit, on lit : peu à peu les figures se défaisaient (19) Les dessins les plus anciens, ceux que le père connaissait déjà, étaient encore les plus figuratifs. (20) Mais voici que déjà s’altérait la figuration (21) Dans le journal, on lit : Ce matin, j’ai compris que je ne dessinerai plus d’ima-ges. Mais on retrouvera un dessin: il s’agit du crocodile de Job (crocodile dans la traduction de Segond, que cite Sonia, Leviathan dans les autres traductions), mais ce dessin paraît proche de l’abstrait :
… ce ne sont que bulles, courants, vortex, écailles, dents, griffes, écume à quoi s’accroche la lumière, tourbillons d’eau ou de feu, squames, fentes des yeux, le tout mêlé à coups de gomme, d’estompe, de doigts et des reprises à la mine de plomb, et du fusain mal balayé.
J’aimerais croire que ce renoncement à la figure est le corollaire du mouvement d’écriture qui guide la plume de Sonia vers la métaphore et d’autres types d’images. Et en effet, à chaque page de ce livre, et particulièrement à chaque page du journal de Sonia, les formulations les plus frappantes, les images les plus étonnantes brillent de leur éclat mystérieux.
C’est tantôt ce que Pascal Quignard dans Rhétorique spéculative appelle le « mot inopiné », comme dans ces petits chiens appendices de névrose, ces poissons obnubilés (36), (41), cette naphtaline de l’esprit de sérieux. (45), ou encore ces grandes orgues du poulailler (50), ces charrois d’odeurs et de sons minuscules (47), cette scie rouillée du sarcasme (55)
C’est plus souvent des formulations dont le cœur est une image fulgurante :
Bulles infimes de solitude, les vagabonds, les amoureux, les lecteurs, font dans la soupe collective un ferment qui nous sauve. Et si la plupart de ces bulles échouent à re-monter à la surface, qu’importe : ça travaille, ça lève. (31)
Et naturellement, le jury du Dentan se sent à nouveau concerné ! Comme ici, à propos de déambulation sans but dans la ville :
Tout à fait comme dans la lecture. On marche derrière quelqu’un qui sait où il va, qui le sait peut-être, ou qui suit lui-même quelqu’un d’autre, et qu’importe : celui qui suit est la légèreté, îles est irresponsable.
Ici, à part l’adjectif irresponsable, c’est une belle image de l’écriture par intertextualité. Mais nous aurons noté à propos de bulles ferment et ça travaille.
Importance de la respiration, à quoi tout se mesure. Infaillible baromètre : apnée dans l’irrespirable, ivresse des sommets, hyperventilation de la passion, imperceptible souffle du bonheur, l’oubli de respirer dans l’étonnement, haleter, la poitrine comprimée, manquer d’air, ne respirer que du bout des poumons. (45)
Notons hyperventilation de la passion et imperceptible souffle du bonheur.
La raisonneuse reprend le dessus, et avec son langage d’oiseau – je m’embarque sur le roulis de sa voix. Les mots ont enfin les propriétés du parfum : ils enveloppent sans conquérir. (58)
Notons le langage d’oiseau qui ne conquiert pas.
je mets en culture les motifs pris dans la rue, dans la nature (64)
Notons mettre en culture
Je crie, je feule, je trisse, je me soulève, je vole du vol de la brume, de retombe en averse, je m’insinue, je m’évapore, c’est faire l’amour en fourmilière. (71)
Notons je vole du vol de la brume et la fourmilière
Ces formulations imagées donnent plus d’une fois matière à des vers, décasyllabes ou alexandrins :
une main sur l’humeur, une autre sur le rêve
Je me suis mise à l’école de l’eau (63)
Notons l’école de l’eau
C’est parfois en des espèces de poème en prose que se développe le discours imagé du journal de Sonia.
Et je repars. Je suis une jonchée de feuilles, qui dévale, tourbillonne, s’élève, retombe, s’arrête, s’élance à nouveau, se divise, se mêle à d’autres tas de feuilles, plus jeunes ou plus anciens, accueille un papier gras, une page de journal, un morceau de ficelle, se laisse acculer dans une impasse, rebrousse chemin, explose en gerbe folle sur une bouche d’aération, paie son écot à l’eau de la rigole, espère et trouve les jambes nues d’un enfant, n’est aucune des feuilles pas plus qu’elle n’est le vent, elle est la danse, elle est dansée.
Mais mon temps de parole est écoulé, je ne pourrai pas vous faire entendre davantage de cette poésie. Je dois progresser vers le terme, et je le ferai en évoquant une image qui fait un retour significatif, celle de l’hirondelle :
Ma fenêtre au second est tout électrisée du vol des hirondelles. Ça vibrionne comme un atome. (40)
Il n’y a pas de moi, pas de ça, pas de Sonia, il y a des larves d’hirondelle. (53)
Je danse dans l’atelier. Plus besoin de musique, ni de peinture, je dessine dans l’espace, je danse et me soulève l’émoi de l’hirondelle. (80)
Tout à trac, j’ai révélé à Martinez Nadal l’étendue de mes pouvoirs, je lui ai même parlé du reptile, de la gazelle, de la femme-hirondelle. (84)
Je suis encore allée donner mon sang. Mon sang mêlé du sang des hirondelles. Combien d’hommes et combien de femmes l’ont-ils reçu depuis trois ans, ce sang qui vibrionne, ce sang corrompu, illuminé, qui charrie les ferments de la métamorphose ? (86)
Le retour, tout à la fin, du verbe vibrionner à côté de l’hirondelle donne bien à penser. La conjonction de l’hirondelle et du vibrion ne peut qu’être au cœur de ce livre comme il l’est de ce journal intime imaginaire. Il pourrait être la clé encore du suicide de Sonia selon l’hypothèse poétique de Mourir et puis sauter sur son cheval.
Voici pourquoi : peu de temps avant son envol icarien, Sonia a trouvé « dans un Buffon », en note de bas de page, une hypothèse qui rapproche étymologiquement autant que fantastiquement l’hirondelle de la sangsue (latin hirundo et hirudo). On ne sait pas bien si cette glose savante est l’objet de sa fascination, de son sarcasme ou de sa terreur. Elle répète hiru, hiru, hiru, avec amusement, mais la métamorphose de l’hirondelle en sangsue fait l’objet d’une angoisse impossible à méconnaître.
Les journaux veulent que Sonia se soit lancée dans le vide par dépit amoureux. Je vous ai prié de noter les images du ferment qui travaille, de la culture, du langage de l’oiseau, de la fourmilière, du vol de la brume, de l’école de l’eau, de la passion, du bonheur, de l’humeur et du rêve. L’hypothèse poétique du livre de David Bosc est, à ce que je crois, dans ce réseau d’images. Les dernières lignes sont parmi les plus belles, qui reprennent en faisceau les derniers motifs, en bouquet les dernières fleurs poétiques :
… ce sang qui vibrionne, ce sang corrompu, illuminé, qui charrie les ferments de la métamorphose ? Quel grand étonnement ce sera ! Chacun se dépouillera de sa mort comme le papillon abandonne son enveloppe sur la brindille où il s’est inventé. –– Faire un pas supplémentaire, un pas au-delà, un saut hors de la chose et de la cadence, cet effarant tic-tac de la marche du monde que mon rythme propre contrarie, contrarie, à contretemps, par des stridences, des apnées, des clappements de lèvres. Donner naissance à autre chose, expulser une forme vagissante, l’ectoplasme d’une notion griffonne, dans la très rapide simagrée d’une métamorphose, dans l’éventration scandaleuse, ravissante, d’une chrysalide.